Témoins de la grande guerre 1914 Abbé Villemin, Prêtre à Senones 25 août : Boum ! Boum ! 4 coups formidables me réveillent à 5h du matin. C’est le canon. Plus de doute, l’ennemi approche, peut-être est-il déjà dans la ville. La porte de la maison s’ouvre et une quinzaine d’Allemands, baïonnette au canon, envahissent la maison. Un sergent, revolver au poing les précède. Monsieur le curé en était à la communion et consommait les Saintes Espèces. Toujours le casque à pic sur la tête et le revolver au poing, le sergent répète à voix haute son ordre d’arrestation « Au nom du général… je vous arrête » Monsieur le curé se tourne vers lui et lui dit : « Bien monsieur, me permettez-vous d’achever ? ». Le tigre répond tout de même oui. On nous conduit d’abord à la mairie, ensuite à l’église où les barbares rassemblent 270 hommes du village et à 10h les obus éclatent tout près de nous. On entend les vitres qui tombent. Tout le monde se lève pour se sauver. Le sergent prussien nous fait rasseoir, menaçant de fusiller le premier qui se lèverait pour sortir 1915 Jules Jobard combat dans une section de mitrailleurs 27 mars : Les sentinelles adverses tiraillent un peu aujourd’hui. Je vais transporter mes bagades dans notre nouveau gourbi. 17h Nos artilleurs vont lancer des bombes. Boum ! ff ! ff ! Plouf ! la 1ere tombe juste devant notre mitrailleuse et n’éclate pas. La 2e éclate juste… sur notre tranchée. Fureur des poilus ! qui parlent de fusiller les artilleurs. La 3e tombe plus près des tranchées allemandes. Pour un essai, c’est plutôt réussi. Sans doute par moquerie, les Boches lancent une seule bombe en réponse. Il est nuit. Il neige. Que j’ai froid aux pieds ! 1916 Jules Jobard 21 février : Les Boches ont bombardé St Dié, ce qu’ils n’avaient pas fait depuis longtemps. On sent de l’énervement ; ça gronde partour ! Ca recommence. cette fois tout le monde est alerté, il faut passer vite au col, car toutes les 10 minutes une rafale d’obus arrive. Cela dure jusqu’à 23h 22 fevrier J’ai bien dormi au chaud, bien que sans couverture. Tout est blanc de neige, et il en tombe. Après-midi, tournée à la tranchée du col. Encore des fusants de 77. Ca va-t-il recommencer comme hier ? Depuis deux jours le canon gronde là-bas sans arrêt ; est-ce Verdun ? Et qui donc attaque ? Mme Remy Femme d’un industriel vosgien mobilisé Correspondance de Mme Remy à son mari (1914-1918) 20 juillet 1916 Mon cher Paul. Ta pauvre femme t’écrit bien fatiguée, j’ai passé une nuit blanche avec toutes ces troupes qui nous sont débarquées, il n’y a pas eu moyen de dormir, le maire m’avait mis un officier, et faute de place je lui ai donné mon lit, j’ai passé la nuit sur une chaise, ou plutôt en promenade à l’écurie ou j’avais des hommes tellement ivres, que je n’étais pas tranquille. Ils étaient vautrés derrière leurs chevaux sur la paille avec des pipes allumées, quand il a fallu partir, leur officier a été obligé de les sortir à coups de poing de l’écurie 1917 Jules Jobard 31 mars : Tous les jours même temps : neige, giboulées, froid. Hier et ce matin grand vent et pluie. J’ai fait arranger ma cheminée et puis faire enfin un peu de feu le soir. Tous les jours des obus devant nous ; aucun sur la tranchée ; heureusement car nos abris ne sont guère solides. Ce soir alerte, on craint que l’ennemi ne fasse sauter une mine cette nuit à 607 20 juin : Sale nuit ! Les Boches sont hargneux depuis hier. A 18h ils ont bombardé la ferme voisine. 23h ils se mettent à tirer des rafales de fusants sur toutes les routes. Des 102 autour de nous. J’alerte mon monde. Et ça dure toute la nuit. Temps orageux. La propriétaire de la ferme (bombardée hier soir) est blessée, en allant faner par une balle boche tirée de Frapelle. 1918 Mme Remy 31 juillet 1918 : Mon cher Paul, il y a quatre ans aujourd’hui que tu m’as quittée, je pleurais et tu me disais pour me consoler, ne pleure pas, je reviendrai bientôt. Quatre ans que nous vivons loin l’un de l’autre, quatre ans que je lutte, avec toujours l’espoir de te revoir bientôt. Et toi, quatre ans de misères loin des tiens. Et combien de temps serons-nous séparés ? Nous avons perdu l’habitude de la vie commune, il semble maintenant que cela doit être toujours ainsi. 2 août 1918 : « Quoiqu’il en soit mon pauvre homme, c’est pour tous pareil. La situation n’est pas belle pour vous, c’est bien triste en effet de voir s’éterniser une guerre inutile où chaque jours ils en tombent, et crois-tu que ce soit plus gai pour les femmes qui sont à la maison. Je n’ai pas besoin de te dire que mon travail est facile, tu sais que chaque jour on nous complique la besogne, et bien que je ne me décourage pas, j’entreprends sans hésiter des choses que je n’ai jamais faites et je tâche de m’en sortir. Et la vie qui devient d’un prix fou, le pain nous est rationné à l’extrême. Tout manque et bien tout cela, que pouvons-nous y faire, rien du tout… Nous ne pouvons pas faire finir la guerre, il faut l’accepter. Abbé Villemin 11 novembre : A 11h ½, c’est une explosion de joie dans la ville. De tous les côtés on entend des détonations ; ce sont les Allemands qui font sauter les mines posées dans les tranchées. Les jeunes gens des Chavons et autres redescendent, parcourant la ville en chantant, en portant des cocardes comme aux jours de la conscription.Les Boches regardent tout cela d’un air ! On se hasarde même dans les tranchées françaises. On prépare les décorations de la ville. Les Allemands s’en vont par petits paquets. Quelques-uns ont des cocardes aux couleurs françaises à leur casquette. On attend pour demain 13 novembre une division française